TEL UN ENFANT DANS UN MAGASIN DE JOUETS
Cela n’a échappé à peu de monde, CITROËN célèbre ses cent ans cette année. Le plus jeune de nos constructeurs tricolores si j’oublie DS et ALPINE, ne pouvait manquer cet événement, et d’autant plus quand on pense à tous les modèles célèbres pour ne pas dire mythiques qui ont jalonné son existence. Super cadeau (pour moi), CITROËN m’a permis de rouler et même de conduire sur un petit parcours quelques-unes de ces merveilles.
SM
Je suis véritablement comme un enfant dans un magasin de jouets, et avec la possibilité de jouer avec tous ces jouets, et tant pis si cet après-midi de juin alterne soleil et quelques passages pluvieux. Même en ayant la liste des modèles proposés, le parking avec les vraies voitures en "chair et en os" me plonge déjà dans une légère extase. Par quelle CITROËN commencer ? Mon choix était fait depuis longtemps, je pourrais dire depuis quarante-neuf ans depuis sa présentation : la SM. Le modèle est de 1973, en version injection, dans sa couleur bronze métallisé. Je prends sans me faire prier la place du passager au côté de l’heureux propriétaire. Je découvre les sièges si caractéristiques avec ses bourrelets horizontaux (ceux-ci sont recouverts de cuir) et la grande planche de bord. Les quatre cadrans sont ovales, assez semblables dans leur architecture à ceux de la DS ; l’un d’eux renfermant le précieux voyant rouge du diagnostic. Le levier de vitesses (boîte cinq) est lui aussi caractéristique, sans soufflet mais avec une large grille métallique et, bien sûr, le volant monobranche à large moyeu ; la voiture dispose d’une direction assistée avec retour asservi (que la DS n’avait pas).
Le meilleur vient de l’avant de la voiture, dès le démarrage du moteur : le V6 MASERATI se fait entendre de sa musique rauque. Ce splendide véhicule est né de l’association CITROËN-MASERATI, la première utilise la technologie hydropneumatique de la DS et la seconde fournit le moteur issu du V8 de l’Indy auquel deux cylindres ont été supprimés pour des raisons fiscales et d’encombrement. Il est vrai qu’à l’ouverture de l’immense capot, le V6 siglé MASERATI est tapi dans le fond du logement presque sous le parebrise. Le reste de l’espace, bien rempli, est occupé par les sphères hydrauliques, les filtres à air et la boîte de vitesses. C’est incontestable, la SM est faite pour les grands espaces, avec une vitesse de croisière compatible des années 70, un peu moins de nos jours. La tenue de route et le freinage n’ont rien à envier aux voitures actuelles. Cette GT est véritablement un concentré de technologie et de performance, et même après un demi-siècle, on se sent aussi bien (mieux ?) que dans une sportive d’aujourd’hui pour avaler des kilomètres à bonne vitesse…
Traction
Le premier des trois modèles phare du constructeur a eu une belle carrière de vingt-trois ans, et a quelque peu révolutionné le paysage automobile en ce début des années 30. La Traction Avant proposée à l’essai est une "11", modèle 1957 donc un des derniers produits, avec une malle arrière. Cette fois-ci, j’ai pris le volant. C’était donc pour moi une double première : première fois en Traction et donc première fois à la conduite de la voiture. Cette 11 a une petite notoriété matérialisée par sa décoration extérieure, puisqu’elle a fait le Tour Auto 2019 avec François Alain à son volant. Démarrage du moteur, enfin, je vais manœuvrer le fameux levier de vitesses (la célèbre queue de vache). La grille est inhabituelle : première en bas à droite, deuxième en haut à gauche et troisième en bas à gauche si nécessaire. La Traction se conduit très bien dans le flot de la circulation et après un petit test pour mesurer l’efficacité du freinage, je suis là aussi agréablement surpris, ce qui me donne toute confiance dans la conduite de la voiture. Juste la visibilité vers l’arrière n’est pas des plus aisées mais ce ne sont pas les productions actuelles qui ont amélioré la chose, souvent secondées par une caméra de recul. L’essayer, c’est l’adopter et quand bien même la conception a quatre-vingts ans, je suis objectivement emballé par la modernité de la voiture.
DS
Le deuxième des trois modèles phare du constructeur a provoqué une révolution en octobre 1955 lors de sa présentation au Salon de l’Auto. Il s’agit bien entendu de la DS, reine de la route, voiture du vingtième siècle. Les superlatifs ne manquent pas, même soixante ans après ! La DS 20 de 1974 avec toit ouvrant à l’essai est une des dernières productions du modèle. Cette fois-ci, comme la SM, je m’installe dans le fauteuil passager. Le terme fauteuil n’est pas galvaudé ; CITROËN avait noué un partenariat avec Pullman. La suspension hydropneumatique est bien plus souple pour ne pas dire molle en comparaison avec la SM. Et comme avec celle-ci, la route est un réel plaisir dans un confort exceptionnel. N’étant pas sujet au mal de mer, si ce n’était l’excitation de l’essai, j’aurais pu m’endormir tant le confort est grand. On comprend vite pourquoi cette voiture exceptionnelle a transporté autant de personnalités ; les finitions Prestige ou Pallas qualifient parfaitement la DS. Contrairement à la Traction, la visibilité est bonne, les montants de parebrise sont ultra fins : le toit flottant est déjà l’empreinte de la CITROËN.
Cette ultime version dispose de la planche de bord à quatre cadrans circulaires, avec le levier de vitesses sur la colonne de direction. Démarrage par une impulsion vers la gauche dudit levier ; le passage des vitesses se fait en semi-automatique, l’hydraulique se charge de l’embrayage : le pied gauche se repose. Au cours de notre (trop) court parcours, ce sont des pouces levés vers le haut qui nous accueillent. La DS a une cote d’amour toujours intacte. Et comme les autres CITROËN essayées, la DS n’accuse pas son âge et se fond elle aussi dans le flot automobile dans le sens où la voiture n’est nullement dépassée. La DS avait vingt ans d’avance quand elle a été présentée, c’est beaucoup plus finalement.
Ami 6
"I believe I can fly", c’est en gros mon état d’esprit après ces trois parcours. Poursuivons le rêve éveillé et plutôt que d’essayer le troisième modèle phare du constructeur, la 2 CV, pourquoi ne pas goûter à la 3 CV connue sous le nom d’Ami 6 ? Encore un OVNI du paysage automobile avec son capot creusé, ses optiques ovales (à l’époque, la majorité des voitures était équipée de phares ronds) et sa lunette arrière inversée sous un toit flottant là aussi. Notre belle Ami, blanche intérieur rouge, date de 1963, soit deux ans après sa sortie. On s’enfonce largement dans la banquette avant bien rembourrée, et comme j’ai pu prendre le volant, je m’adapte à sa conduite. Le volant monobranche avec la branche à 225° pour la position neutre est plutôt horizontal, et en gros il faut s’adapter à la voiture plutôt que le contraire. Le test préliminaire de freinage me prévient d’anticiper l’arrêt de la voiture, l’Ami 6 n’a pas l’efficacité de la DS ni même de la Traction. En route, je redécouvre la joie du levier de vitesses en "tire-pousse".
Première, boule à gauche, tirée à fond vers le conducteur, et c’est parti ! L’Ami 6 tremblote de toutes ses tôles à l’arrêt, mais ce n’est pas grave, on avance quand même mais avec un peu plus de concentration au regard du freinage. Le parcours hors de la ville permet de passer la quatrième (directement à partir de la troisième sans repasser par le point mort matérialisé par un petit marquage sur la tige du levier), la voiture enroule les kilomètres dans un confort excellent grâce aux suspensions 2CV et à la banquette profonde. Je me replaçais dans les conditions de départ en vacances dans cette populaire économique qui avalait des kilomètres à petite vitesse, mais à l’époque, on n’avait pas d’autoroutes…
GS
Un peu plus parent pauvre du constructeur quand elle n’est pas siglée X ou X3, la GS, voiture de l’année 1970, préfigure la future CX. Le modèle à l’essai est un break de 1971, 1220 Club ; cette version au lancement était plus puissante que la 1015. Le volant monobranche, le frein à main sur la planche de bord donnent un goût exotique à l’intérieur très plastique. La GS a inauguré le fameux compteur de vitesses à rouleau (tel un pèse personne) ou plutôt remis au goût du jour, ce système existait bien avant la voiture. Contrairement à la CX qui a repris le système pour le compte tours, la GS est équipée d’un classique cadran à aiguilles. La mission de la GS est de compléter la gamme entre les Ami et la DS, en utilisant la suspension hydropneumatique de celle-ci. Le moteur un peu pétaradant, très caractéristique, un voile de fumée à l’échappement, je pars au volant du break, le sourire aux lèvres.
Comme sa grande sœur la DS, le confort est assuré et les montants de parebrise sont fins et le freinage bien dosé. Le principal handicap, mais c’est l’époque qui veut cela, le plastique a envahi l’habitacle. Et déjà à l’époque, il n’était pas gage d’une grande qualité. Un détail dont je ne me souvenais plus, le rouleur de vitesse jaune au démarrage, est peint vert amande sur une zone de vitesses plus élevée pour revenir au jaune initial encore plus loin.
CX
C’était malheureusement la dernière voiture à l’essai de cette demi-journée qui a passé trop vite. Dommage parce que j’aurais bien continué avec d’autres modèles. Pour finir cette aventure CITROËN, je prends le volant (monobranche siglé turbo) de la CX 25 GTI Turbo2 ABS. Cette CX est elle aussi un des derniers modèles produits, summum de la gamme. On se souvient, sinon consulter Internet, de la publicité avec Grace Jones. Je retrouve l’ambiance, l’odeur de la CX, et la planche de bord si caractéristique. Les satellites de commande sont situés en extrémité de cette sorte de soucoupe avec, la critique de l’époque, le clignotant qui ne revient pas quand le volant retrouve son point milieu. Il fallait donc l’éteindre ; vous imaginez la corvée de nos jours quand, même avec un clignotant à impulsion, beaucoup de conducteurs ont oublié cette fonction indispensable.
Les deux rouleaux des premières versions ont cédé leur place à un bloc de compteurs ronds à aiguilles beaucoup plus classiques, et comme la place n’est pas gigantesque, ils font un peu étriqués. Le compteur affiche 2.600 kilomètres : la voiture est neuve ! Là encore, quel régal ! Les suspensions sont plus fermes que dans la DS, mais plus souples que dans la SM : le bon compromis. Le dosage sur la pédale de frein est à apprivoiser sous peine d’un freinage très puissant. Sinon, la prise en mains est tout aussi simple, la voiture est ultra confortable, une constante sur ces six essais, avec du répondant sous la pédale de droite. N’oublions pas qu’en ces années 80, la CX GTI Turbo2 représentait ce qui se faisait de mieux dans le segment des grandes routières. Et plus de trente ans après sa sortie, la voiture peut prendre la route sans accuser son âge pour le plus grand confort de ses passagers et surtout de son conducteur. En fait, je répète ce que j’ai dit pour la DS et la SM, et je serai bien reparti chez moi avec la voiture...
Je n’ai pas pu essayer les 2CV, GSA, XM et C6 mais je ne peux que vous renvoyer à mes articles de l’époque pour les deux dernières, ayant pu rouler dans une XM V6 et assister à la présentation de la très belle C6. Cette journée de grand plaisir a eu une constante : le confort quel que soit le modèle, même après toutes ces années. L’efficacité des routières, y compris la Traction, n’est pas altérée à tel point qu’on peut prendre la route sans crainte, ni fatigue (c’était d’ailleurs le cas pour les propriétaires des DS et SM). A l’heure de repartir, malheureusement sans aucune d’elles, mon coup de cœur n’a pas dévié d’une miette : la SM l’emporte de très loin devant la CX GTI qui m’a bluffé…
Ph. NIOLLET (12 juin 2019)